Journée internationale des peuples autochtones, 09 août 2024
Mme Olfa Karous
Ingénieure-Docteure en sciences agronomiques,
Observatoire du Sahara et Sahel
Chaque 9 août, la Journée Internationale des Peuples Autochtones nous offre un moment de réflexion, un miroir dans lequel se reflètent les intuitions pures et les méditations profondes sur notre lien avec la nature. C’est une journée pour honorer ceux qui, à travers les âges, ont préservé une sagesse ancestrale et une connexion sacrée avec le monde naturel. La plupart des peuples autochtones ont une perception de l’environnement radicalement différente de celle de la civilisation moderne. Pour eux, elle n’est pas simplement une collection de matières animées et inanimées soumises à des lois physiques ou biologiques, mais un Tout vivant et interconnecté. Les êtres humains n’en sont pas séparés ; ils en font partie et doivent vivre en équilibre avec elle. La conscience de l'interdépendance de toute vie, ainsi que la reconnaissance que les humains dépendent du bon fonctionnement de tous les éléments naturels, sont les pivots de la vision autochtone du monde. En outre, ces communautés ne considèrent pas la conscience et l'intelligence comme des attributs réservés aux seuls humains. Leur conception de la terre repose, en effet, sur une vision holistique, où le monde animal et le monde végétal possèdent une valeur intrinsèque et où les humains sont une partie intégrante de ce « Tout ».
En Afrique, la connexion entre l'Homme et la nature se déploie comme un voyage à travers des éons de sagesse. Ce continent, bastion de traditions ancestrales, célèbre l’union profonde entre l’humanité, la Terre et le cosmos. À travers ses paysages variés, des forêts luxuriantes aux savanes vastes, les peuples autochtones révèlent des visions uniques et respectueuses de leur environnement, incarnant un équilibre essentiel et intemporel.
Au cœur des forêts équatoriales d'Afrique centrale, les Pygmées, l'un des plus anciens peuples du continent, vivent en parfaite symbiose avec leur milieu. Fidèles à un mode de vie millénaire, leur cosmovision centrale reflète une conception où les êtres humains sont intégrés dans un « Tout » plus vaste. Pour eux, la nature n’est pas une possession mais un ensemble vivant avec lequel ils entretiennent des liens sacrés. Chaque arbre et chaque animal est perçu comme un membre de leur famille élargie, et leur mode de vie est défini par des relations d’équité et de respect plutôt que par la domination.
Sur les rives du lac Eyasi, au sud des hauts plateaux du Ngorongoro en Tanzanie, les Hadzabés, l'un des plus anciens peuples chasseurs-cueilleurs connus, vivent avec une ferveur intemporelle. Ils chantent les histoires de la terre et expriment une vision non matérialiste de la nature. Leur mode de vie se distingue par une harmonie exceptionnelle avec leur environnement : exempt d'agriculture, d'élevage, de règles fixes et de hiérarchie, ils prélèvent uniquement ce dont ils ont besoin quotidiennement et se déplacent régulièrement pour permettre à la nature de se régénérer. Leurs abris temporaires se fondent dans le paysage et se décomposent naturellement, tandis qu’ils boivent directement aux sources, sans puiser au-delà des ressources disponibles. Cette approche témoigne d’un profond respect pour l’environnement et d’une détermination à maintenir l’équilibre écologique.
Dans les forêts de Mau du Kenya, les Ogiek vivent en harmonie avec les arbres anciens, qu'ils adulent comme des ancêtres, et les forêts comme des sanctuaires. Leur vision du monde est régie par des règles strictes interdisant la coupe des arbres vivants et régulant l’utilisation des ressources. Ils pratiquent des rituels pour remercier les esprits de la forêt et veillent à ne prélever que ce qui est nécessaire, utilisant des techniques de cueillette qui assurent la régénération des plantes.
Héros discrets de la conservation, ces peuples, représentant environ 476 millions de personnes à travers le monde, possèdent, gèrent ou occupent un quart des terres de la planète, abritant 80% de la biodiversité mondiale. En accordant une grande importance à la gestion, au partage et à la conservation des ressources, ils font preuve d’un profond respect envers l’environnement. Leurs savoirs transcendent les simples traditions pour devenir des outils vivants et dynamiques, essentiels à la gestion durable des ressources naturelles. Aujourd'hui, les approches bio-culturelles sont de plus en plus reconnues pour leur capacité à valoriser l'interconnexion entre la biodiversité et les savoirs autochtones. La Convention des Nations Unies sur la Diversité Biologique (CDB) prône l'intégration de ces approches comme un moyen efficace pour ralentir la perte de biodiversité mondiale et promouvoir une gestion durable des ressources naturelles.
Paradoxalement, bien que les peuples autochtones aient contribué infinitésimalement à la dégradation environnementale, ils sont souvent les premiers à subir les conséquences de l’exploitation intensive des ressources naturelles. Les activités extractives, comme l’exploitation forestière à grande échelle, l’agriculture industrielle et les projets miniers, menacent non seulement leurs droits mais aussi les écosystèmes vitaux pour leur subsistance. Malgré les efforts timides déployés par les instances internationales, à l’image des Fonds climatiques qui, dans la mise en œuvre de leurs projets et leurs programmes, stipulent le respect des droits des populations autochtones, ces dernières continuent de faire l’objet de marginalisation. 86 % des populations autochtones travaillent dans l’économie informelle, sans protection adéquate et courent, ainsi, trois fois plus de risques de vivre dans l’extrême pauvreté. En moyenne, elles gagnent 18,5 % de moins que les autres groupes de populations mondiales. Cette situation s’aggrave singulièrement en Afrique en raison du manque de reconnaissance des droits fonciers collectifs et des protections qui y sont liées.
Bien que des textes comme la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones existent, leur mise en œuvre demeure insuffisante, rendant ces communautés particulièrement vulnérables aux effets néfastes de la déforestation, de l’expansion des infrastructures et des catastrophes naturelles.
Les savoirs traditionnels des communautés autochtones offrent des réponses adaptées à ces défis. Transmis de génération en génération, ils englobent les traditions orales, l’attachement aux lieux, les mémoires, la spiritualité et une vision du monde unique. Ces connaissances se manifestent à travers un ensemble complexe de valeurs, de croyances, de cérémonies, de médecines traditionnelles, ainsi que de pratiques et d'organisations sociales spécifiques. Selon l'UNESCO, ces compétences, souvent plus raffinées que les approches scientifiques modernes, permettent de saisir les variations environnementales et d'ajuster les pratiques en réponse au changement climatique. Incorporer ces connaissances dans des projets de grande envergure enrichit les stratégies de gestion des ressources naturelles. En effet, travailler directement avec les autochtones permet de bénéficier d'une compréhension approfondie des écosystèmes locaux, renforçant ainsi leur résilience et la durabilité des initiatives. Leur expertise, fondée sur une observation minutieuse et un respect profond de l'environnement, fournit des solutions à la fois adaptées et durables.
Afin que ces solutions soient réellement efficaces, il est important d’impliquer pleinement les communautés autochtones dans les processus décisionnels. Leur participation active aux forums politiques et environnementaux assure une représentation équitable et respecte leurs propres structures de gouvernance.
Aujourd’hui comme chaque jour le monde doit défendre le droit des peuples autochtones à façonner leur avenir dans la paix et la dignité.