Journée mondiale de la vie sauvage 3 mars
Connecter l’humanité et la planète : explorer l’innovation numérique pour la conservation de la vie sauvage
Mme Olfa Karous
Ingénieure-docteure en sciences agronomiques
Les fresques qui ornent les murs des musées du monde, les poèmes envoûtants qui célèbrent la beauté de la nature, les toiles captivantes des peintres, les romans fascinants et les documents d'ethnobotanique ne cessent de nous plonger dans un monde où nos ancêtres étaient profondément enracinés dans la vie sauvage depuis la nuit des temps. Au-delà d’être des expressions artistiques ou des répertoires historiques, ces œuvres témoignent clairement de la relation intime et indissociable que l'Homme a tissée avec la nature, ainsi que de l'héritage des savoir-faire locaux et des traditions ancestrales. Pourtant, au cœur du tumulte incessant de nos villes tentaculaires et de nos cités en expansion, retentit un cri d'alarme. Aujourd'hui, la vie sauvage, jadis notre alliée inestimable dans notre voyage sur Terre, est confrontée à un danger imminent. Les avancées technologiques et l'urbanisation galopante ont peu à peu brisé notre lien ancestral avec les forêts vierges, les vastes étendues sauvages et les espèces indomptées. Cet éloignement de la nature, en engendrant une ignorance collective, mène inexorablement à une indifférence généralisée.
À partir de là, le chemin vers la dégradation et l'effondrement écologiques est rapidement emprunté.
Bien que souvent accusée d'être un fossoyeur de la nature, la technologie offre une lueur d'espoir dans ce désordre croissant et peut nous tendre la main pour renouer avec notre environnement. Comment pouvons-nous exploiter au mieux cette synergie et favoriser une coexistence harmonieuse entre l'Homme, la faune et la flore ?
Les technologies émergentes au service de la conservation de la faune sauvage
Traditionnellement, les études sur la faune utilisaient des outils tels que le piégeage photographique et le suivi par radio. Cependant, ces dernières décennies ont connu une croissance spectaculaire de la technologie, avec une disponibilité accrue de produits télédétectés, une puissance de calcul plus grande et des composantes électroniques moins couteuses. Cette évolution a permis de passer de simples activités de surveillance et de recherche, à des actions concrètes de conservation. Des avancées technologiques récentes, telles que l'intelligence artificielle (IA) et l'Internet des objets (IoT), sont devenues des alliées essentielles pour la préservation de la faune sauvage en Afrique. Par exemple, l'application PAWS (Protection Assistant for Wildlife Security) tire parti de l'IA pour anticiper les activités criminelles liées à la faune et élaborer des stratégies de réponse adaptées. Son intégration au système SMART a prouvé son efficacité, notamment en Ouganda De même, le système Instant Detect conçu et développé par la société zoologique de Londres (Zoological Society of London - ZSL) entre 2016 et 2023 utilise des capteurs et technologies satellites pour surveiller en temps réel la faune et détecter les menaces de braconnage, avec des succès avérés au Kenya et en Tanzanie. Un autre exemple est celui de la Connected Conservation Foundation, qui déploie l'IoT pour sécuriser les zones entourant les réserves naturelles en Afrique. À travers un réseau d'accès (RAN) point à point, des capteurs, des caméras de vidéosurveillance et des scans biométriques sont déployés pour collecter et analyser les données, permettant ainsi une détection précoce des activités suspectes et une intervention rapide des gardes forestiers.
La révolution technologique au service de la conservation de la flore sauvage et de la bioculture
Les récentes avancées technologiques ont profondément modifié l'approche de la conservation de la flore sauvage et de la bioculture. Par exemple, grâce à la numérisation des herbiers et à l'utilisation de techniques avancées d'imagerie satellite et de drones, nous sommes désormais en mesure de cartographier et de surveiller les habitats naturels avec une précision sans précédent.
Les avancées en génomique et bioinformatique ont considérablement simplifié l'identification et la caractérisation des espèces végétales, y compris les plantes sauvages apparentées à celles cultivées, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour la sécurité alimentaire. Cette avancée permet non seulement une meilleure appréciation de la richesse du patrimoine naturel, mais aussi la mise en place de stratégies de conservation ciblées pour protéger les espèces menacées et les écosystèmes vulnérables.
Les nouvelles technologies ont également révolutionné l'ethnobotanique et la bioprospection. La combinaison de la ‘data mining’ et de l'IA permet d'explorer efficacement les bases de données ethnobotaniques, identifiant ainsi les plantes sauvages ayant des usages traditionnels importants et les ressources naturelles à potentiel économique et médicinal. Cette approche novatrice valorise les connaissances locales tout en ouvrant de nouvelles perspectives pour l'utilisation des plantes sauvages.
En réponse à l'érosion des connaissances ethnobotaniques, la transmission virtuelle des savoir-faire pourrait assurer la « continuité culturelle » à travers des plateformes en ligne, des réseaux sociaux ou d'autres médias numériques, facilitant ainsi un échange simultané et global entre les individus et les communautés. Cette démocratisation de l'information contribue à sensibiliser le public à l'importance de la biodiversité et à l'urgence de sa préservation.
Convergence technologique et conservation : vers une approche intégrée pour un impact durable
Dans le défi complexe de la conservation de la vie sauvage, l'avenir de la technologie de conservation en tant que discipline émergente s'annonce à la fois prometteur et délicat. Sa réussite dépend d'une collaboration étroite entre les innovateurs et les acteurs de la conservation. D'une part, il est essentiel d'attirer les esprits technologiques vers la transformation des prototypes en solutions pratiques et pérennes à l'échelle mondiale. D'autre part, ces avancées doivent s'adapter et s'intégrer harmonieusement aux besoins locaux, sans perpétuer les déséquilibres existants, notamment en limitant la dépendance des pays en développement, riches en biodiversité, vis-à-vis des pays développés. Dans cette perspective, il est impératif de transcender les frontières nationales pour développer des solutions technologiques intelligentes et équitables dans un monde où les défis de conservation sont globaux.
Seule une approche holistique, prenant en considération les aspects biologiques, culturels, humains et environnementaux de la conservation, peut garantir un impact durable. Toutefois, malgré la reconnaissance des contributions des peuples autochtones et des communautés locales à la gestion des écosystèmes, la conservation de la diversité bioculturelle reste souvent insuffisamment intégrée, notamment en Afrique. C'est pourquoi il est important de promouvoir un engagement communautaire positif et de soutenir la durabilité écologique et socioéconomique, permettant ainsi une conservation efficace et pérenne.