Journée internationale pour la conservation de l'écosystème des mangroves 26 juillet 2024
Journée internationale pour la conservation de l'écosystème des mangroves 26 juillet 2024
Mme Olfa SEHLI
Ecologiste marin
Observatoire du Sahara et du Sahel
Depuis 50 millions d’années, les forêts de mangrove se sont installées le long des côtes tropicales et sous-tropicales, et tissent une mosaïque unique où 80 espèces de plantes halophiles, arbustes, palmiers et fougères s'entrecroisent, formant ainsi un écotone, espace de transition entre terre et mer. Elles représentent une forme particulière de l’évolution et de la survie sur Terre. En fait, grâce à leurs racines immergées dans l'eau, les mangroves fleurissent dans des environnements chauds, boueux et salés, dans lesquels aucune autre plante n’aurait survécu.
En reconnaissance de l’importance des mangroves, une journée internationale dédiée à leur conservation a été proclamée par la Conférence générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture (UNESCO) en 2015, afin de sensibiliser à leur rôle crucial d’écosystème unique, et d’identifier des solutions pour leur gestion, conservation et utilisation durable.
Où se trouvent les forêts de mangrove et pourquoi font-elles l’objet d'une telle attention internationale ?
Les mangroves couvrent 14,8 millions d'hectares, inégalement réparties à travers le monde, avec plus de 6,48 millions d'hectares situés en Asie du Sud et du Sud-Est, tandis que le reste se trouve principalement en Afrique (2,82 millions d’hectares), en Amérique du Sud (2,14 millions d'hectares), en Amérique du Nord et Centrale (1,85 million d’hectares) et en Océanie (1,46 million d’hectares), avec des zones plus petites dans d'autres parties de l'Asie tropicale et de l'Afrique.
Ces écosystèmes côtiers offrent une vaste gamme de services, d’avantages environnementaux et de valeurs culturelles et socio-économiques importantes aux communautés locales. En effet, ils sont essentiels à la stabilisation des littoraux, en atténuant les effets des vagues et des vents sur les côtes et en servant de remparts protégeant les structures intérieures. De plus, la végétation des mangroves et les sédiments environnants servent de réservoirs essentiels de carbone, capturant environ 22,8 millions de tonnes métriques de carbone par an et contribuant[1] ainsi à atténuer les effets du changement climatique. Les mangroves comptent parmi les écosystèmes les plus productifs, offrant un habitat à une grande diversité de faune et de flore, servant de zones de frai et nurseries, de zones de protection et de sources alimentaires.
Par ailleurs, les mangroves sont un atout vital pour la survie des communautés locales car elles fournissent des services essentiels à leur subsistance et leur bien-être. Selon le rapport « État des Mangroves dans le Monde (2021) », près de 4,1 millions de pêcheurs dépendent de cet écosystème grâce aux 600 milliards de crevettes et de poissons et aux 100 milliards de crabes et de bivalves qu’il produit. Les communautés locales tirent également parti des ressources offertes par les mangroves pour la riziculture, la perliculture, l'exploitation du bois, la production d'énergie ainsi que l'écotourisme.
Les mangroves en Afrique
Ayant la deuxième plus grande superficie de mangroves parmi les cinq régions mondiales après l'Asie, selon le rapport de la FAO « Les mangroves du monde 2000–2020 » publié en 2020, l'Afrique détient 19% des mangroves du monde, dont près de 74% sont concentrées en Afrique occidentale et centrale. Selon « Global Mangrove Watch » en 2022, les plus grandes forêts de mangrove du continent Africain se trouvent au Nigeria avec 844 200 hectares. Ces forêts sont parmi les plus diversifiées et productives au monde et sont caractérisées par leur abscission élevée qui favorise une activité microbienne importante. Bien qu’elles ne représentent qu’environ 5% des mangroves dans le monde, les forêts de mangrove du Nigeria contribuent à environ 25% de la production biologique mondiale, avec un taux de production primaire de 24 tonnes par hectare par an.
En Guinée-Bissau, plus de 80% de la population dépend de l'agriculture pour ses moyens de subsistance et 45% des terres exploitées dans la riziculture sont situées dans des rizières de mangrove. Cette dépendance ne se limite pas à la riziculture mais à la production de l’énergie (pour l’éclairage et la cuisson). En outre, le miel récolté dans les forêts de mangrove est apprécié pour son goût distinctif et ses bienfaits médicinaux.
Menaces et nécessité urgente de restaurer les mangroves et de prendre des mesures de conservation adéquates
En Afrique, selon la même évaluation, l'agriculture, l'urbanisation accélérée et l'exploitation intensive du bois sont les principales causes de la destruction des mangroves. Ces facteurs combinés ont entraîné une perte alarmante de près de 1,7% de l'étendue des mangroves entre 2000 et 2020. Bien que ce chiffre puisse sembler insignifiant, il représente une réduction significative pour un écosystème aussi fragile, mettant en péril la biodiversité et les moyens de subsistance des communautés côtières.
Face à cette situation alarmante, les efforts de conservation et de restauration sont plus que jamais indispensables bien que leur mise en œuvre ne soit pas possible sur toutes les côtes. En effet, le potentiel de restauration varie en fonction de l'état initial et actuel de l'habitat, et de son degré de perte. C’est pourquoi il convient de mettre en place une stratégie holistique qui prend en compte les aspects socio-économiques, écologiques et culturels pour une restauration réussie. Rappelons que l'absence d'un ou de plusieurs de ces éléments a déjà entraîné l'échec de nombreux projets de restauration, malgré leur importance et le montant des investissements. Pour soutenir ces projets et en garantir le succès, de nombreuses organisations internationales, telles que l'Alliance mondiale pour les mangroves, ont fourni divers supports d'orientation, comme des cartes de potentialités de restauration et des guides de bonnes pratiques. Ces guides expliquent que le manque d'expertise technique et scientifique dans le processus de restauration peut compromettre la bonne exécution des projets.
Quelles sont les actions en cours et que peut-on faire pour renforcer les mesures de conservation ?
En 2023, 97 pays ont intégré les écosystèmes côtiers et marins, y compris les mangroves, dans leurs Contributions Déterminées au niveau National (CDN) en vertu de l'Accord de Paris et 61 ont intégré la conservation et/ou la restauration des écosystèmes de carbone bleu dans leurs stratégies d'atténuation et d'adaptation. Il a été reconnu que les mangroves sont essentielles pour atteindre divers objectifs du Cadre mondial de biodiversité de Kunming-Montréal, notamment les objectifs 1, 2, 3 et 8 et que les Parties devaient s'aligner sur les objectifs du GBF à la COP16 en 2024.
Ces Dernières années, plusieurs pays africains ont réalisé des avancées significatives dans la reconnaissance et la gestion des mangroves. Le Mozambique en est un exemple révélateur. Dans sa Contribution Déterminée au niveau National (CDN) révisée, ce pays a prévu de restaurer 5000 hectares de mangroves d'ici 2025, en en reconnaissant le rôle crucial en tant que zones de reproduction et d'alimentation pour les poissons. Le Kenya et la Tanzanie ont également intégré les mangroves dans leurs CDN, mettant en avant leur engagement envers ces écosystèmes vitaux. Parallèlement, Madagascar est en train de mettre à jour sa CDN de 2016, qui reconnaissait déjà l'importance des mangroves. Toutes ces initiatives reflètent une prise de conscience croissante et un engagement infaillible pour la conservation et la restauration des mangroves à travers le continent, et traduisent la volonté partagée de mettre en place un cadre d’échange et d’améliorer les politiques liées à la gestion durable de ces écosystèmes.
La comptabilité des capitaux naturels peut également être un atout précieux, qui aide à quantifier et à évaluer les services écosystémiques, à informer les politiques et la prise de décision et, enfin, à permettre aux populations locales de bénéficier des retombées de l'écotourisme.
Conscient de la gravité de la situation et soucieux de rétablir cet écosystème précieux, l’Observatoire du Sahara et du Sahel coordonne le projet « Adaptation des systèmes de production agricole dans les zones côtières du Nord-Ouest de la Guinée-Bissau », financé par le Fonds Vert pour le Climat et visant à restaurer 250 hectares de mangroves. Ce projet vise à protéger les communautés côtières, réhabiliter les écosystèmes des zones humides et améliorer la résilience des agriculteurs dans les rizières de mangroves.
Les mangroves sont des écosystèmes irremplaçables qui offrent des services environnementaux, socio-économiques et culturels indispensables. Leur déclin, accentué par l'urbanisation, l'agriculture et le changement climatique, menace sérieusement la biodiversité et la résilience des communautés côtières. Les efforts louables et indéniables de conservation et de restauration appellent à une approche holistique qui intègre les aspects socio-économiques et écologiques. Par ailleurs, il est impératif de traduire les engagements internationaux en actions concrètes et durables pour le bien-être de ces écosystèmes vitaux.
[1] Towards a framework for mangrove restoration and conservation in Nigeria