Journée mondiale des oiseaux migrateurs - 12 octobre 2024 | « Protégeons les insectes, protégeons les oiseaux : un appel à la préservation de la biodiversité »
Mme Yosr Turki
Spécialiste en sciences de l'environnement et en biologie marine,
Observatoire du Sahara et du Sahel
Imaginez-vous dans le corps d’une hirondelle rustique, un petit oiseau aux ailes effilées, née dans les campagnes d’Europe. Avec l’arrivée de l’automne, un appel irrésistible vous pousse à entreprendre un voyage extraordinaire : migrer vers les terres chaudes d’Afrique. Vous parcourez des milliers de kilomètres, traversant la Méditerranée et le vaste désert du Sahara pour atteindre les savanes et les forêts tropicales de l’Afrique de l’Ouest. Pour vous, cet exploit est vital. Chaque année, des millions d’hirondelles et des milliards d’autres oiseaux migrateurs accomplissent ces périples impressionnants, souvent synchronisés avec les cycles naturels… notamment ceux des insectes, une ressource essentielle à leur survie.
Depuis des siècles, les hommes cherchent à comprendre les migrations des oiseaux. Aristote pensait que certaines espèces hibernaient ou se transformaient. Ce n’est qu’avec les progrès technologiques, comme le baguage et le suivi satellite, que nous avons découvert l’ampleur de ces migrations. Certaines espèces parcourent des milliers de kilomètres avec une précision chirurgicale. Cette capacité extraordinaire repose sur des repères célestes, mais aussi sur un sens dont nous, humains, sommes dépourvus : la magnétoception, la capacité de percevoir le champ magnétique terrestre.
Cependant, ces migrations, qui témoignent de la résilience et de l’instinct des oiseaux, ne sont pas sans danger. Les oiseaux migrateurs doivent surmonter des défis immenses : fatigue, prédation, et surtout les menaces engendrées par l’homme. Parmi ces menaces, la disparition des insectes est particulièrement alarmante.
Insectes et oiseaux : un lien vital pour les écosystèmes
La journée mondiale des oiseaux migrateurs, célébrée chaque année, met en lumière la nécessité de préserver ces espèces. En 2024, la campagne porte un message clair : « Protégeons les insectes, protégeons les oiseaux ». Les insectes, ressource alimentaire vitale, sont indispensables à la survie des oiseaux, notamment lors de leurs haltes migratoires où ils reconstituent leurs réserves d’énergie. Les migrations des oiseaux sont souvent synchronisées avec les pics d’abondance d’insectes, comme une danse naturelle entre les espèces.
Le parc national des oiseaux du Djoudj, situé au nord du Sénégal, est un exemple parfait de cette interdépendance entre les oiseaux et leur environnement. Classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, ce parc est un écosystème crucial, tant pour la préservation des espèces migratrices que pour le maintien des équilibres écologiques régionaux. Lors de son intervention le 15 janvier 2024, le ministre sénégalais de l’Environnement a souligné l’importance du Djoudj, non seulement pour sa biodiversité, mais aussi pour les services écologiques qu'il rend. En accueillant des millions d'oiseaux migrateurs, le parc plaide pour l’urgence de protéger les habitats naturels et les ressources alimentaires indispensables à ces espèces. La gestion durable du parc est donc essentielle pour garantir la survie des oiseaux qu'il abrite, face à la menace croissante du changement climatique et des pressions anthropiques.
Cette urgence de protection s'étend également à d'autres facteurs écologiques, comme le déclin alarmant des populations d'insectes, source de nourriture cruciale pour de nombreux oiseaux. Une étude parue dans Science montre qu'environ 9% des insectes disparaissent chaque décennie, principalement en raison de la déforestation, de l’agriculture intensive, de l’usage excessif de pesticides et du changement climatique. Ce déclin a des répercussions directes sur les oiseaux. Selon la World Ecological Society of Birds, près de 10 % des 2 000 espèces d’oiseaux africains, dont plusieurs espèces migratrices, sont désormais menacées d’extinction.
Comptabilité écosystémique : le capital naturel au cœur des écosystèmes
La comptabilité écosystémique, qui inclut la notion de capital naturel, permet de mesurer la valeur des écosystèmes en termes de services rendus, notamment dans la relation essentielle entre les oiseaux et les insectes. Ces derniers, indispensables à la pollinisation, à la décomposition des matières organiques et à la chaîne alimentaire, sont vitaux pour de nombreuses espèces d'oiseaux, surtout les migrateurs. Lorsque les écosystèmes sont dégradés — par exemple, par l'utilisation excessive de pesticides —, les populations d'insectes chutent, menaçant directement les oiseaux qui en dépendent. En intégrant cette relation dans la comptabilité écosystémique, on valorise le rôle des insectes comme capital naturel essentiel à la survie des oiseaux, ce qui contribue à la résilience des écosystèmes dans leur ensemble.
L'exemple du Faucon de l’Amour (Falco amurensis), petite espèce de rapaces dont la migration en Asie et en Afrique est étroitement liée à l’abondance des libellules « planeur errant », illustre à quel point ces interconnexions sont cruciales.
Des espèces comme le Gobemouche noir (Ficedula hypoleuca), un petit passereau devenu rare et protégé, sont touchées par le changement climatique, voyant les insectes nécessaires à la nutrition de leurs petits, disparaître avant leur éclosion.
Un appel à l’action
Protéger les insectes est donc, sans équivoque, essentiel pour la survie des oiseaux migrateurs. Face à ce défi, la campagne de 2024 appelle à une action urgente : restaurer les habitats naturels, réduire l’usage des pesticides, et promouvoir des pratiques agricoles durables comme l’agriculture biologique. Il s'agit non seulement de protéger des espèces emblématiques comme l’hirondelle ou le gobemouche, mais également de préserver la santé de l’écosystème tout entier.
Parce que les oiseaux migrateurs ont des cycles différents dans les deux hémisphères, la journée mondiale est célébrée en 2024 sur deux jours, les 11 mai et 12 octobre. Le message clé est d’encourager les citoyens du monde entier à participer à des événements pour sensibiliser à la protection des oiseaux et des insectes et à adopter des actions concrètes pour leur bien-être. Créer des habitats adaptés, limiter l’utilisation de pesticides, préserver l’eau, promouvoir la biodiversité, soutenir les initiatives de conservation, favoriser un sol sain, sont autant d’éléments essentiels. En prenant soin de ces insectes, nous aidons non seulement les oiseaux, mais nous participons à la préservation d'une biodiversité indispensable à la survie de notre planète, Gaia.
En somme, protéger les insectes, c'est protéger les oiseaux — et ainsi préserver l'équilibre fragile de la nature qui nous entoure.